Pour ou contre les "Sensitive Reader" ou "lectrices sensibles" ?
D'où vient l'idée de faire lire les livres par des "Sensitive Reader" ou "Lectrices sensibles" ?
Devenir lectrices ou lecteurs sensibles est aujourd'hui une vraie profession qui se démocratise aux Etats Unis et qui a pour but de vérifier dans les ouvrages des auteurs le moindre petit propos susceptible d'offenser une communauté. L'idée de recruter une lectrice sensible pour vos romans lesbiens vous a-t-elle déjà traversée l'esprit ? Personnellement, oui, et je vous explique tout ça plus bas...
Sommaire
1. Mais c'est quoi au juste une "lectrice sensible" ?
Dites-vous que c'est la version CSA de la littérature, mais en Free Style total ! S'il faut des diplômes et une formation pour rentrer au CSA, n'importe qui sachant lire, écrire, apporter un argumentaire sur le fond d'un texte, peut devenir "lectrice sensible". Encore faut-il être "sensible" ou justement, ne pas "trop l'être"...Son rôle ? Contrôler l'ouvrage pour qu'il puisse être lu par le plus grand nombre et donc pour qu'il rapporte le plus d'argent à l'éditeur - et en coûte le moins, surtout si une "communauté sensible" se plaint que l'ouvrage véhicule de la haine ou quelques propos dégradants envers telles ou telles communautés minoritaires.
Comme pour la plupart des sujets controversés, la majorité des personnes qui ont un avis sur la question sont très divisées.
Pourtant l'idée n'est ni tout à fait mauvaise, ni tout a fait bonne. Oui, je sais ce que vous vous dites, les gens ont de plus en plus de difficultés avec les zones de gris qui exigent de comprendre le "pour" et le "contre" dans un effort de réflexion dépourvu de préjugés. Sans oublier que tout est fait pour polariser la société et les opinions.
J'ai moi-même fait appel à des "lectrices sensibles" dans mon dernier ouvrage qui aborde la transidentité. Non pas pour savoir si mon thriller choquera ou heurtera les personnes des communautés trans (et forcément il choquera puisque c'est un thriller qui traite de transphobie), mais parce que j'ai eu besoin de ces lectrices par souci de cohérences sur ce que vivent les personnes transgenres puisque l'une des héroïnes de cette fiction est une femme trans inspectrice.
Voir aussi notre article : La bêta-lecture : définition, attentes et relation auteur/bêta-lecteur
2. Pourquoi travailler avec une "lectrice sensible" est une bonne idée ?
Je vois la lectrice sensible comme un "outil" à la fois technique et émotionnel.
- Outil technique : parce qu'il n'y a rien de plus génial que d'obtenir des conseils d'une personne experte dans un domaine pour corriger des incohérences sur un sujet qu'on ne maîtrise pas forcément malgré nos recherches,
- Outil émotionnel, car les auteurs de romance LGBTQ+ ont besoin d'entrer dans la psychologie des personnages, de plonger au coeur de leurs états d'esprit, de leur "être" et de leurs ressentis puisque ces éléments sont les clefs essentielles qui permettent de construire la trame argumentative de l'histoire de façon cohérente et avec profondeur.
Exemple concret : dans mon thriller en cours d'écriture, deux personnes trans m'ont aidé et m'ont expliqué comment une vaginoplastie bien faite permettait à une femme trans de ressentir du plaisir, des orgasmes, et même davantage que dans leur ancien corps. Ce genre de détails ne peut pas être inventé et n'est pas forcément explicité sur des sites généralistes où tous les points de vu, y compris les regrets et les catastrophes chirurgicales, sont aussi mentionnées.
Bon, j'aimerai aussi pouvoir écrire mes romans de science-fiction ou thriller avec l'aide de vrais spationautes ou de vrais tueurs en série, mais vous conviendrez que ce genre de personnes est plus difficile d'accès que les membres des différents réseaux sociaux LGBT+ (même si nous avons quelques tueurs célèbres et bien déjantés au pénitencier de Montréal)
Conclusion : avoir accès aux ressentis d'une personne appartenant à une communauté ou à un corps de métier est utile pour écrire au plus près des réalités.
Mais est-ce pour autant indispensable ?
Dépendamment des sujets, je vous dirai non. Ma réponse est certes ferme, mais après 15 ans d'écriture de fictions je pense pouvoir affirmer que le plus important dans l'écriture d'un roman est l'empathie. Et il n'en reste pas moins un point évident : les recherches sont indispensables avec ou sans lectrice sensible.
3. Pourquoi travailler avec une "lectrice sensible" est une mauvaise idée ?
Réfléchissons maintenant à l'antithèse. La problématique avec cette nouvelle mode, d'ailleurs très populaire aux Etats-Unis, est de vouloir plaire à tout le monde.
Il faut bien se mettre en tête que 90% des éditeurs se fichent, en leur âme et conscience, de froisser ou non les lecteurs. Ce qu'ils observent, et le but de leur démarche quand elle a lieu, est uniquement le bénéfice.
Souvenez-vous du "Pinkwashing" qui désigne les intérêts commerciaux des entreprises à mettre des personnes LGBTQ+ dans leurs communications commerciales. De même, les éditeurs sont des entreprises qui surfent sur des modes et sont là pour plaire à la majorité et se conformer au dictat de la doxa, entendez par là, se soumettre au politiquement correcte de l'opinion générale.
Raison pour laquelle, bien souvent, dans les mêmes maisons, on se retrouve avec des romans qui se ressemblent... ils n'ont plus de dimensions, voire d'émotions. On supprime ce qui froisse, ce qui choque, on lisse, on aplanit, on dénature pour plaire à toutes et tous.
Ce n'est rien de plus que de la censure.
A craindre de froisser les uns et les autres, on travestit la réalité, et si vous observez les médias généralistes et les mouvances politiques, c'est aussi ce qu'il se passe. Les entreprises ne font que "suivre" le courant qui, il faut le dire, vient avec le "politiquement correcte".
Résultat, les fictions deviennent parfois de la science-fiction.
Exemple 1 : Les héros ne peuvent plus se permettre d'avoir des défauts anti-féministes. Terminé les remarques parfois misogynes, sexistes ou machistes. Pour plaire aux femmes, les héros de romances hétéros doivent être bien sous tout rapport ! De gentils garçons respectueux comme on aimerait qu'il en existe.
Exemple 2 : si vous décidez d'écrire un thriller où votre héroïne s'attaque à des hommes, attendez-vous à des invectives, voire des menaces de diffamation pour avoir tenu des propos misandres en suscitant la haine des hommes. Néanmoins, peu de risque de procédure dans un monde où l'homme blanc CIS-GENRE est incriminé par toutes les communautés comme le "mal" terrestre, ce qui est très discutable bien entendu! !
4. Conclusion : bonne ou une mauvaise idée ?
Ce n'est ni une bonne ni une mauvaise idée. Comme pour toute chose, il faut tempérer. Travailler avec une lectrice sensible peut être à la fois utile en ce sens où la lectrice apporte une vraie plu value au roman, ou au contraire, ce travail de sensibilité peut dénaturer l'essence première du roman. Pousser à l'extrême, on peut se retrouver avec des méchants sans qualité, des gentil sans défauts, et donc nager en plein roman fantastique en plus de perdre en profondeur, en réalisme pour le seul but de ne plus froisser quiconque.
Et vous, qu'en pensez-vous ? Pour ou contre les Sensitive Reader ?