L'ironie du sort
► Auteure : Liv land
► Nombre de mots : 63 749
► Genre : Policier
► Public : Tout
► Niveau d'érotisme : ★★☆☆☆
Elles se séparèrent comme d’habitude, à huit heures devant l’immeuble d’Anne, pour mieux se retrouver, quarante-cinq minutes plus tard, à l’ouverture de l’agence bancaire.
À neuf heures quinze, toujours pas de traces de Céline. Ce qui fit sourire Anne. Décidément, il faudrait qu’elle songe à acheter une montre à sa chère et tendre, tant celle-ci avait du mal avec les horaires et le sinistre tic-tac du temps qui passe. Enfin, ce n’était pas pressé, car Anne trouvait charmant, à l’heure du tout contrôler, du minutage y compris dans les relations humaines, que Céline soit un électron libre. En plus, il fallait bien reconnaître qu’elle n’abusait pas non plus étant, en règle générale, à l’agence presque dans les délais impartis. C’est la raison pour laquelle ce n’est qu’à neuf heures quarante-cinq qu’Anne commença véritablement à s’inquiéter. Elle appela donc Céline sur son téléphone portable, mais seule la messagerie lui répondit. L’angoisse grandissait à mesure que le temps s’écoulait, doucement, sûrement et le doute s’instillait en elle de façon insidieuse. Ce n’était pas normal, Céline n’avait aucune raison de ne pas être à l’heure, elle ne lui avait parlé d’aucun rendez-vous extérieur. Ce retard, alors que son frère était menacé, ne présageait rien de bon. Le radar à problèmes d’Anne se remettait à lui envoyer des signaux d’alerte qui faisaient se nouer son estomac. Elle tournait comme une lionne en cage dans son bureau, s’asseyant pour se saisir d’un dossier. Incapable de se concentrer, elle se relevait et faisait à nouveau les cent pas, entre deux appels.
Puis sur le dixième appel, le téléphone de Céline répondit enfin. Il était onze heures quinze, mais au bout du fil, c’était une voix d’homme :
— Ouais ?
— Bonjour, je voudrais parler à Céline.
— Qui la demande ? Je suis son frère.
— Lequel ? hasarda Anne.
Cela suffit à désarçonner quelque peu son interlocuteur qui, du coup, bafouilla :
— De quoi, de quoi que tu causes ?
— Juste ce que je dis, vous m’indiquez être le frère de Céline, je vous demande lequel. Alors, votre réponse ?
— Ben, euh, euh...
— J’en déduis que j’ai en ligne quelqu’un qui ne sait même pas qui il est. Ça vous ennuierait de me passer votre chef ? La conversation aurait peut-être une chance de devenir intéressante.
— Eh, oh ! pétasse ! pour qui tu te prends ? s’énerva l’interlocuteur
— Pour quelqu’un de plus intelligent que toi, à l’évidence, mais en cela, je n’ai aucun mérite, l’inverse supposerait que je creuse... Alors, tu me le passes, ton chef ? intima-t-elle d’une voix décidée.
Il y eut un bref silence puis elle eut une autre personne à l’appareil, dont les synapses semblaient moins manquer à l’appel.
— Bonjour, à qui ai-je l’honneur ?
— C’est moi qui appelle et je voudrais parler à Céline. Soyez assez aimable pour me la passer, ordonna-t-elle, en serrant la mâchoire, manquant de briser entre ses dents le stylo qu’elle mâchonnait nerveusement.
— C’est-à-dire que mademoiselle Céline est comme qui dirait indisponible pour le moment.
Le propos était tenu sur un ton badin, détaché, ce qui rendait encore plus glaçant son contenu. Elle essaya de faire comme si elle n’avait pas décelé la sourde menace contenue dans les paroles de son interlocuteur et qui lui avait donné la nausée, et reprit du ton le plus neutre dont elle était capable :
— Ah bon ? Eh bien, dans ce cas, je vais attendre qu’elle le soit... disponible.
— Oh ! ben vous pouvez attendre longtemps.
Anne décida d’arrêter de jouer :
— Maintenant ça suffit, connard ! Passe-la-moi avant qu’il ne t’arrive des bricoles !
— Ouh la ! maman, j’ai peur ! se moqua le trafiquant à l’autre bout du fil.
Anne n’avait plus le moindre doute. Il s’agissait bien d’un des membres du gang et Dieu seul savait ce qu’il était advenu de Céline ! Il lui fallait jouer serré pour savoir où elle se trouvait et s’arranger pour la sortir d’un éventuel guêpier. Enfin... éventuel ? Elle se disait cela surtout pour essayer de s’en convaincre, car elle commençait à craindre le pire pour Céline. Une sueur froide se mit à couler le long de la colonne vertébrale de la banquière. Elle avait l’impression d’être passée dans une autre dimension, qu’elle avait espéré pouvoir définitivement oublier. Le brouhaha de l’agence se faisait entendre de l’autre côté de la porte, comme si les autres gens, et c’était normal, étaient inconscients de ce qui se jouait. Anne sentit ses muscles se nouer, les synapses de son cerveau se remettre dans les rouages d’un autre temps.
— Qu’est-ce que tu veux, bordel ? demanda-t-elle. Où est Céline ? Je n’y comprends rien, mais si tu ne me réponds pas dans la seconde, j’appelle les flics, enfoiré !
— Tu n’as qu’à faire ça et les képis ramasseront les morceaux de ta copine, disséminés dans les montagnes alentour.
Et le salopard à l’autre bout du fil se mit à rire, d’un rire tonitruant, et les doigts d’Anne se crispèrent sur le combiné, heureusement solide...
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