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Muerte, par Marcia Gary - Nouvelle lesbienne

| Chantal Trembley | Ebooks lesbiens gratuits

Muerte, par Marcia Gary - Nouvelle lesbienne

Un texte de saison, offert par l'auteure Marcia Gary pour célébrer Halloween

Je sors des ténèbres.

Je me réveille.

Mon esprit reprend sa place petit à petit. Où suis-je? Que s’est-il passé?

J’ouvre les yeux. Non, mes yeux «s’allument» plutôt. Je ne sens pas mes paupières bouger. Instantanément ils sont agressés par une lumière vive, trop forte, vraiment trop forte.

Alors j’éteins.

La Vie continue le chemin du reste de mon corps.

Ma chair se réveille elle aussi, et avec elle son lot de souffrances. J’ai l’impression qu’un rouleau compresseur est passé sur tous mes organes, a écrasé tous mes membres, un par un, minutieusement et avec insistance. Le rouleau a même dû faire plusieurs allers-retours tellement je me sens broyée.

J’essaye de m’étirer. J’ai toujours adoré ce moment le matin, encore entre le sommeil et l’éveil, où j’allongeais mes bras et mes jambes vers l’infini, comme tractée par une corde imaginaire, avec cette impression de gagner quelques centimètres de plus que la veille.

Mais maintenant, rien ne bouge.

L’information ordonnant à mes membres de se mouvoir est bien là, clairement formulée, elle part de mon cortex moteur primaire, mais elle a l’air de se perdre en chemin, ou de rater sa destination; de s’éteindre en route telle une mèche mouillée. L’impulsion cérébrale n’a aucun effet sur mon corps.

Aucun de mes membres ne réagit.

Pourtant ils sont bien présents, je les sens: mes chevilles brisées, mes genoux broyés. Je ressens la douleur de côtes cassées et des épaules démises. J’ai même l’impression d’une fêlure dans ma tête, une fissure dans ma boite crânienne. Ma tête a été... écrasée?

Tant pis pour l’irritation causée par cette lumière, je rallume.

Après le premier flash aveuglant, je distingue peu à peu l’environnement. Enfin, du peu que je vois sans pouvoir bouger le cou bien sûr. Au-dessus de moi trône un énorme éclairage ovale, avec ampoule surpuissante comme directement reliée à une centrale nucléaire. En y regardant bien, cela ressemble aux lampes qu’ont les dentistes pour vous triturer le fin fond de la bouche avec leur appareillage brillant. En arrière-plan, un plafond fait de dalles blanches mouchetées. Il y avait les mêmes dalles carrées dans les salles de classe de mon lycée. Je m’en rappelle pour les avoir très longuement observées lors de cours interminables.

Je perçois des bruits d’instruments métalliques que l’on manipule.

Il y a quelqu’un, là, pas loin de moi!

« Eh oh ! S’il vous plaît, aidez-moi! »

Le cliquetis recommence, juste au niveau de mes pieds. Je capte une présence sur ma gauche, je distingue quelqu’un touchant des objets en acier sur une table à côté de moi.

« Y a quelqu’un? Je suis réveillée ! J’ai si mal, aidez-moi! »

Aucune réaction. Je sais qu’il ou elle ne m’entend pas, je sens bien que mes lèvres n’ont pas bougé d’un iota. Je me doute qu’aucun son n’a franchi la barrière immuable de ma bouche. Pourtant j’ai crié si fort!

Soudain un masque vert pâle passe devant mon champ de vision. Ou plutôt, une femme munie d’un masque de protection en papier vert. Cela a été furtif, mais j’ai pu distinguer une paire de lunettes à monture simple, en fer noir. Elle avait aussi des cheveux châtains, relevés en queue de cheval portée haut sur une petite tête. Avec quelques mèches indomptables retombant sur son visage mangé par ses verres et son masque. Et c’est tout, passage éclair.

Puis, des bruits de liquide dans un tuyau. Comme un enfant aspirant avec sa paille le fond d’un soda presque fini. J’entends un «glou-glou» hideux s’écouler dans un tube près de mon corps.

Mon dieu non.

Pas près de mon corps, mais depuis mon corps.

Je réalise alors que plusieurs tuyaux en plastiques sortent de mon abdomen et rejoignent diverses machines vrombissantes posées à côté de la table où je me situe. Ces bruits de succion et d’aspiration viennent des fluides extraits de mon ventre. On me vide.

Si je pouvais, je vomirais.

La compréhension de ce qu’il se passe, la conclusion sur mon état et sur l’endroit où je me trouve me plongent dans un abîme sans fin d’où j’espère ne jamais me réveiller.

OFF.

 

2 - ADIEU

Je me réveille.

Je me reconnecte à contrecœur à mes yeux fixes et sans vie apparente.

Je suis ailleurs.

La lumière criarde n’est plus, à la place je distingue des petits spots à LED disposés de-ci de-là dans un plafond en marqueterie bien lustré. Les lattes marron brillent et je peux presque voir le sol qui m’entoure se refléter dedans. L’ambiance parait douce, feutrée, silencieuse. Je n’entends plus la dame au masque vert pâle s’affairer à côté de moi. Plus de «glou-glou» morbides et de machines suceuses de fluides.

Mon corps est moins douloureux. Je me demande si, en même temps que ces liquides qui coulaient hors de moi, elle n’a pas extrait aussi tous mes os. Je ne sais pas réellement en quoi consiste un embaumement après tout, peut-être enlèvent-ils tout, absolument tout. Il n’empêche, je ne souffre plus, mes articulations me paraissent molles, mes os : dissous. J’apprécie cette sensation, même si le mot «sensation» ne me semble pas du tout adapté puisque je ne ressens plus rien.

J’entends une porte s’ouvrir.

Des pas glissent dans la pièce, mais s’arrêtent loin de moi.

Silence.

Je sens une lourde chape de tristesse envahir les lieux. Un désespoir presque palpable pèse sur moi, écrase mon cœur symbolique et comprime mes poumons absents. J’ai tellement envie de hurler!

Quelqu’un renifle. De plus en plus fort...

Les sanglots désormais clairement audibles me semblent familiers. On pleure. On me pleure.

J’aimerais tant pouvoir tourner la tête, tendre une main, dire simplement : je suis là.

JE SUIS LÀ!

Je ne demande pas à pouvoir me lever, sautiller et aller serrer ma femme -puisque c’est elle que j’entends, j’en suis persuadée- dans mes bras, non, ce serait trop, juste je voudrais ouvrir ces lèvres desséchées et susurrer doucement : je suis là mon Amour... Je ne demande pas grand-chose tout de même! Je ne m’attends pas à une seconde chance ni une résurrection, je n’attends même pas un réel mouvement ! Pourquoi ne m’est-il pas offert un dernier mot rassurant envers mon épouse? Pourquoi me laisser éveillée dans ce corps si je ne puis rien faire?

Mais pourquoi suis-je encore là?

J’essaye, je mets toute mon énergie et ma volonté de cadavre vivant dans cet ultime espoir de pouvoir montrer un infime signe de vie... un cil qui frémit, la lèvre qui sursaute, un doigt qui tremble... Mais rien, ni mes nerfs ni mes muscles ne m’obéissent, je suis un poids mort, lourd, dur et immobile, pour toujours.

OFF.

*

J’entends de la musique.

Mais c’est ma chanson préférée ça !

Je reviens prendre place dans ma tête, puisqu’apparemment il n’y a vraiment plus que ça qui marche.

Au-dessus de moi se profile le plafond d’une chapelle, je distingue une croisée d’ogives d’un blanc immaculé. Ce n’est pas une église, je ne crois pas, puisque les voûtes sont simples et basses et que jamais ma femme ne m’aurai imposé un enterrement chrétien. À elle non plus d’ailleurs!

Je me concentre à nouveau sur la musique. Une mélodie aérienne, au loin des sons de corne de brume viking, une voix partant du fin fond des abysses et remontant en spirale jusqu’aux nuages célestes... On s’imagine au creux d’un fjord, dans un glacier descendant à la rencontre de la mer, en Islande entouré de volcans fumants et de roche basaltique sombre à perte de vue... cette musique respire la nature dans toute sa splendeur, pure et dure.

Oui, du Björk, pour mon enterrement, c’est bien choisi mon Amour. Beau, puissant, et un peu subversif: bien vu! C’est tellement mieux que la litanie latine d’un curé que je n’ai jamais vu de ma vie. Quoique je pourrais le voir si j’arrivais à tourner cette satanée tête, je pourrais même le détailler là-haut, dans sa pseudo chaire, j’en ai le temps. Mais effectivement, je préfère me remémorer ce magnifique concert de Björk dans les arènes de Nîmes, il y a de cela quelques années maintenant où nous nous étions rendues en amoureuses transies ; oh oui ça c’est un très, très bon souvenir auquel penser juste avant de disparaître à jamais. Merci ma Chérie, tu as toujours su écouter mes goûts, c’est bien pour cela que je t’aime, pour ce respect de ma propre personne avec ses spécificités et ses imperfections.

La chanson arrive à sa fin.

Faites que je n’assiste pas aux adieux de ma famille, faites que je sois partie avant qu’ils ne prennent chacun le micro afin de dire quelques derniers mots sur «la disparue». Je ne pourrais pas le supporter...

Mais non, rien. Je n’entends plus rien.

J’ai l’impression que le socle sur lequel je suis posée bouge. Un cercueil sûrement. Mon cercueil s’abaisse. Peu à peu le plafond voûté s’éloigne. Les parois s’obscurcissent et le bruit du mécanisme actionnant ma descente devient plus sourd. Un à-coup marque la fin du trajet. Je suis dans un espace noir sans aucune source de lumière, un abri clos au sein duquel je me sens isolée et protégée, loin de la tristesse, de l’accablement, loin de ce monde agité et malheureux.

Tout à coup, une lueur s’allume à mes côtés. Telle la flamme d’un briquet, dansant timidement tout d’abord, pour ensuite s’épanouir dans un ballet flamboyant.

J’ai chaud.

Je suis bien.

Je suis en paix.

Silence.

 

3 - CATRINA

Silence ?

Non !

C’est... de la trompette ?

Est-ce bien un orchestre que j’entends-là ?

Mes paupières vacillent. Elles vacillent vraiment cette fois-ci et s’ouvrent avec douceur sur mes globes oculaires soyeux. Premièrement légèrement flou, le panorama s’affine peu à peu et je distingue à présent des lumières, des couleurs et des formes.

Les lumières tremblent comme des lueurs de bougies innombrables, depuis des lampions ornant des autels de pierre brute.

Les couleurs sont vives, du jaune tels le soleil et les étoiles, de l’orange, du rouge carmin et du vert éclatant.

Les formes se précisent sous mon regard ébahi. Je reconnais des pétales de roses recouvrant tout, des tombes rectangulaires assaillies de silhouettes humaines discutant ou simplement bras dessus bras dessous. Des chats noirs sautent allègrement de stèle en stèle et des paniers débordent de fleurs magnifiques ou de trésors secrets.

Où suis-je ?

Soudain, alors que je suis là à détailler mes mains fines et presque transparentes à la lueur des bougies, un bras amical se pose en travers de mes épaules. Je relève le regard, comme au ralenti, puisque plus rien ne presse à présent, le temps est suspendu dans l’éther, et mes yeux se fixent sur un visage enfoui depuis longtemps dans le monde des rêves et des souvenirs.

Papa ?

Il affiche un large sourire, ses dents sont toujours aussi blanches, sa peau méditerranéenne toujours aussi hâlée. Sans dire un mot, il désigne d’un geste du menton un groupe de personnes juste à côté de nous.

Papi, sa canne et son gros bidon, son air avenant d’espagnol bien portant.

Fanny ?

Ma cousine est présente également : elle se contente d’un bisou sonore claqué sur ma joue avant d’aller gambader avec d’autres enfants de son âge tout en gloussant de leurs petites voix.

Une dernière femme ferme ce joyeux groupe : Aurore. Ma meilleure amie, partie trop tôt, si jeune, si belle ! Elle est là, m’ouvre les bras, et je m’effondre dans son giron.

Je pleure.

De tristesse ?

Non ! De joie ! Je pleure de joie.

Certes j’ai quitté le monde des vivants, mon épouse et mes amis. Mais je retrouve dans le monde des morts ceux qui me manquaient tant, depuis si longtemps. Je suis heureuse, libre, épanouie.

Tandis que je serre encore dans mes bras ce petit bout de femme que l’on m’avait arraché il y a plus de vingt ans, j’entends une voix m’appeler. Une voix universelle, impalpable, planant dans l’atmosphère et sortant à la fois de la bouche de tous comme de celle de personne :

« Catrina, viens ! »

Alors, comme une invitation à la vie, à cette nouvelle vie, je suis happée par le tourbillon de gens souriants, colorés de la tête aux pieds et dansants à moitié.

On virevolte, on se serre les paumes, on rit et on s’amuse.

C’est la fête des Morts, une fête éternelle pour ceux que l’on oublie jamais.

Happy Halloween !

 

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BIOGRAPHIE

Ayant grandi au milieu des livres, c’est seulement en 2017 que Marcia Gary commence à écrire des histoires fantastiques. Maman de deux enfants, elle a longtemps occupé divers postes dans l’hôtellerie-restauration ou la petite enfance avant de se consacrer totalement à sa passion des mots. Son quotidien est désormais voué à la rédaction de nouvelles et de romans à la touche toujours réaliste, mais aux notes clairement fantastiques. Parce que la magie est partout, dans toutes ces merveilles qui nous entourent, au gré des rencontres et de la vie de tous les jours en apparence sans surprise…

 

BIBLIOGRAPHIE

« Pythie 2.0 », 2019

« Gattara », 2019

« Mandragore », à paraître

« La mémoire du dragon rouge », à paraître





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