— À l’abordage ! À l’abordage !
Je grogne de douleur au son de cette voix stridente qui vrille mes tympans. Encore incapable d’ouvrir les yeux, à tâtons, je m’empare d’une des bottes qui traîne sous mon hamac et la jette dans la direction des cris. Le choc contre le mur et les cris persistants m’apprennent que j’ai raté ma cible.
— À l’abordage, bande de fainéants, ou je vous fais pendre au grand mât !
Je tente péniblement d’ouvrir un œil pour le refermer aussitôt sous la tempête qui éclate dans mon crâne. Déterminée à faire cesser ces cris, j’attrape ma deuxième botte et la lance avec cette fois-ci un peu plus de succès puisqu’aux hurlements succède un bruit d’ailes et de chaîne que l’on secoue.
— Jetez l’ancre ! reprend la voix aiguë.
Qu’ai-je fait au Bon Dieu pour mériter ça ! Grincement de la porte de ma cabine. Malgré ma gueule de bois, je suis immédiatement sur la défensive, ma main glisse vers le couteau caché sous mes couvertures. Mes sens aux aguets, les yeux toujours fermés, mes doigts frôlent doucement le manche en os de l’arme. Au moment où je referme la main sur la garde, mon corps se détend. Masuk ! Je reconnaîtrais entre mille le pas léger qui s’approche de moi. Je relâche mon couteau tout en ouvrant faiblement un œil. Devant le léger sourire ironique qui m’accueille, je pousse un grognement de dépit. Sa main attrape gentiment la mienne pour la guider vers un gobelet que, par réflexe, je porte à mes lèvres. L’amertume me fait presque recracher le liquide que je viens d’avaler. Je grimace mais, avant que j’aie pu jeter par terre l’horrible contenu, Masuk force le gobelet vers mes lèvres et m’oblige à avaler le reste de l’infâme breuvage.
— À boire ! Encore à boire !
La douleur éclate immédiatement dans mon crâne. Maudit perroquet ! Attends que je sois capable de me lever et on verra si tu vas continuer à crier !
Je ne sais si c’est le breuvage lui-même ou son amertume, mais quoi qu’il en soit, cinq minutes plus tard, je suis enfin capable d’ouvrir les yeux et de m’asseoir sur mon hamac. Masuk, torse nu comme à son habitude, avec juste une vaste culotte de grosse toile grise coupée à mi-jambe et une écharpe rouge en guise de ceinture pour tenir son poignard, est debout devant moi. Les bras croisés sur la poitrine, il attend. Malgré son visage austère aux traits marqués, je détecte une lueur amusée dans ses yeux noirs.
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