La clause abusive de l'exclusivité dans les contrats d'éditions
La clause abusive de l'exclusivité dans les contrats d'éditions
Nous évoquions la clause abusive d'exclusivité dans notre article "7 (très bonnes) raisons d'éviter un contrat d'édition", et nous avons souhaité dédier à cette clause un article complet puisque visiblement de plus en plus d'auteurs en sont victimes, sans doute en raison de la concurrence féroce sur les réseaux de l'édition.
J'ai eu l'occasion ces deux dernières semaines de m'entretenir avec plusieurs auteur-e-s au sujet de cette clause immonde appelée "Clause de préférence" ou "Clause de suite" ou "Clause d'exclusivité". Je vous avoue que ces discussions et révélations faites par des auteurs de certaines maisons m'ont empêché d'écrire (mes romans en cours) pendant plusieurs jours, parce que oui, voilà un sujet à faire frémir les auteur-e-s (et qui m'a fait bondir de mon clavier!)
Certes, ils ne frémissent pas quand ils signent leur premier contrat bien sûr, parce que la toute première fois, ils sont frileux, hésitants, fragiles, peu sûr d'eux, et quand une maison daigne leur accorder de l'attention, c'est presque sans réfléchir qu'ils iront signer un torchon prenant la forme d'un contrat, prêt à tout pour donner vie à leurs rêves, tenir leur bébé entre leur main sans imaginer, une seule seconde, qu'ils seront pieds, poings et plumes liées à l'éditeur qui ajoutera, contrat après contrat, des clauses que je qualifie de "Clauses d'emprisonnements", pour éviter à leurs gentils esclaves poulains d'aller signer des contrats plus juteux, notamment chez des éditeurs offrant des à-valoirs, une meilleure visibilité, un réseau solide, des salons à répétition, un soutien artistique qui leur ressemble, etc, etc, etc...
Facile ! me direz-vous, pour un éditeur de faire pression sur un auteur qui n'a aucune expérience, aucun contact, aucune connaissance de la loi et qui n'osera pas se retourner contre l'éditeur qu'il pense tout puissant alors que certains ne sont parfois que des petits éditeurs à taille humaine...
Soufflez leur à l'oreille le mot "avocat" ou "aide juridique" via la responsabilité civile comprise dans votre assurance habitation, et c'est eux qui frémiront !
Avant de rentrer dans le vif du sujet et d'expliquer ce qu'est cette clause, définissons ce qu'est la clause abusive de façon générale :
En matière de droit de la consommation, une clause est considérée comme abusive quand elle instaure un déséquilibre manifeste entre les droits et obligations des deux parties, dans les contrats entre professionnels et non-professionnels. Le point sur la législation applicable, notamment suite à la loi Hamon de 2014.
L'ABUS DE POUVOIR - DÉCRYPTAGE DES CLAUSES ABUSIVES A DORMIR DEBOUT
Pour celles et ceux qui n'ont pas été confrontés à cette problématique, voici comment peut se présenter la clause abusive. Différents modèles peuvent être achetés sur la toile et sont donc en libre accès pour n'importe qui.
Ici, l'extrait est tiré du site : « Modèle de contrat d'édition », LEGICOM, 2001/1 (N° 24), p. 137-141. DOI : 10.3917/legi.024.0137
L’Auteur accorde à l’Éditeur un droit de préférence pour les œuvres qu’il se proposerait de publier dans l’avenir, soit sous son nom, soit sous son pseudonyme, seul ou en collaboration. Ce droit de préférence s’applique aux œuvres du genre déterminé suivant : genre à compléter.
Rendez-vous compte que dans cette clause abusive, l'éditeur vous oblige même à lui envoyer des textes co-écrits, y compris si lesdites oeuvres sont co-rédigées avec votre soeur, votre père, votre mère ou votre conjoint-e. En bref, non seulement votre propriété intellectuelle leur revienne, mais aussi celle de vos proches. Délirant non ?
Ce droit est limité à 4 ouvrages nouveaux à compter de la date de la signature du présent contrat et non compris celui faisant l’objet du présent contrat.
Quel charabia ! Il ne pouvait pas simplement écrire : "l'auteur sera obligé de soumettre 4 autres ouvrages à l'éditeur en plus de celui-ci." Ce qui signifie du coup que l'éditeur aura en sa possession, un total de 5 ouvrages.
Chacune des œuvres couvertes par ce droit de préférence fera l’objet d’un contrat qui mentionnera le nombre d’œuvres futures pour lequel l’Auteur reste lié à l’Éditeur. La cession de chaque ouvrage que l’éditeur aura accepté d’éditer sera régie par l’ensemble des clauses, charges et conditions du présent contrat et sera valable également pour toutes les formes d’exploitation prévues par le présent contrat.
Comprenez que votre 2e contrat devra mentionner qu'il reste 3 ouvrages à soumettre (pour un total de 5). Si ce n'est pas mentionné, le contrat et les suivants deviennent caducs ! A voir bien sûr les clauses ajoutées, enlevées, par les fines manipulations de votre éditeur qui, probablement, n'a pas été conseillé par un avocat spécialisé en droit d'auteur pour oser vous proposer ce genre de contrat bad gamme acheté sur internet.
En bref, ces clauses sont changées, modifiées, pour vous lier à vie à l'éditeur ! Terrible, n'est-ce pas ?
Pierrat Emmanuel, dénonce dans : « Le contrat d'édition », LEGICOM, 2001/1 (N° 24), p. 5-12. DOI : 10.3917/legi.024.0005
Il existe chez les éditeurs une pratique particulièrement révélatrice des rapports ambigus qu’ils peuvent entretenir avec les écrivains. Il s’agit de cette clause glissée dans les contrats d’édition, que le milieu germanopratin appelle improprement le “droit de suite” et que le CPI qualifie de “pacte de préférence”. Beaucoup d’éditeurs affirment ne pas mettre en œuvre une telle faculté que leur laisse la loi et arguent du fait que l’on ne retient pas un “poulain” qui veut partir, alléché par les à-valoirs, la perspective d’une chance aux grands prix littéraires ou le prestige affichés par la concurrence. En réalité, nombre d’éditeurs veillent à nouveau à insérer de telles clauses dans leurs contrats et à négocier la levée de celles-ci avec leurs confrères indélicats.
Et....
Rappelons que l’article L. 131-1 du code de la propriété intellectuelle dispose par principe : « la cession globale des œuvres futures est nulle » (Cour d’appel de Paris, 10 juin 1986, Revue internationale du droit d’auteur, juillet 1987, p. 157.)
Mais aussi :
De même, la jurisprudence sanctionne fréquemment les clauses de préférence qui réapparaissent à chaque nouveau contrat d’édition, conclu lui-même en vertu d’une clause de préférence contenue dans un contrat d’édition précédent (Cour d’appel de Paris, 29 janvier 1991, Revue internationale du droit d’auteur, juillet 1991, p. 219, note Gautier.)
et surtout....
l’écrivain ne pourrait en effet jamais quitter son éditeur. Le cumul de plusieurs clauses dans différents contrats parallèles (et non successifs) est possible, sous réserve que l’auteur ne soit pas lié pour plus de cinq ans.
Donc, arrêtez d'écrire pendant cinq ans, et l'éditeur ne pourra plus vous retenir.
Et comme dit précédemment, ce contrat type récupérable par n'importe quel éditeur sera modifiable et adaptable aux exigences de l'éditeur qui pourra durcir ces clauses déjà abusives pour enchaîner ses auteurs à sa maison, les empêchant de facto, toute ascension littéraire.
De là, vous pouvez dire que la tendre relation auteur/éditeur des premiers mois se transforme en prise d'otage par l'éditeur.
Que vous reste-t-il à faire ? Ecrire à vie pour cet éditeur alors que vous pourriez vous ouvrir à d'autres horizons plus lumineux ?
Eh bien sachez que vous n'êtes pas aussi piégé-e-s que vous le pensez et nous avons fait notre petite enquête à ce sujet pour vous apporter des solutions !
ALORS QUOI FAIRE POUR SE LIBÉRER D'UNE CLAUSE ABUSIVE ?
NÉGOCIER BIEN SÛR
Plusieurs choix et méthodes s'offrent à vous, des options légales que vous pouvez mener seul-e ou en groupe, mais faites-le intelligemment, dans le respect, avec PROFESSIONNALISME et encadré d'une personne qui connaît les lois sur le bout des doigts ! J'ai vu des auteurs mal renseignées qui ne comprenaient rien aux lois, tenter des vindictes qui se sont retournées contre eux et qui se sont, de fait, fait blacklister sur les réseaux et mal voir par leurs homologues de la même maison !
Le but premier est toujours de négocier à l'amiable, sans recours en justice, sans esclandre, sans diffamation, sans mot plus haut qu'un autre, et surtout sans stress, par email ou par téléphone.
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A - Expliquez que cette clause abusive ne vous convient pas
Le code de la propriété intellectuelle stipule que la clause de préférence ne peut s'appliquer qu'à un nombre de textes limités ou à des soumissions pendant un certain nombre d'années. (Vous pouvez même renvoyer votre éditeur à cette page)
Notez que :
- Si cette limite n'est pas stipulée dans le contrat ou les suivants, la clause devient caduque.
- Si vous avez signé pour 4 contrats, le contrat suivant doit stipulé 3 ouvrages restants, et ainsi de suite jusqu'au dernier. (N'oubliez pas aussi que cette limite est de 5 ans.)
- Chaque refus de l'éditeur compte pour un titre dans le nombre de titres prévus dans le droit de suite. Si l'éditeur a refusé un ouvrage sur la clause de 4 ouvrages, il en reste donc 3 à proposer !
- Si vous avez déjà soumis le nombre de titres prévus dans le contrat, par exemple 4, vous n'êtes plus lié à votre éditeur.
En toute logique, Trouvez-vous normal qu'à chaque contrat, l'éditeur vous remette une clause d'exclusivité sur titres suivants ? Cela veut dire que vous êtes engagé à publier chez lui Ad vitam aeternam ! C'est honteux.
Si l'éditeur refuse, puis vous menace (parce qu'il tient à vous et forcément si vous êtes un auteur Best Seller), ce qu'il fera sûrement pour vous impressionner. (Grande gueule, petit personne et manipulation bonjour), voici quoi faire :
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B - Cessez d'écrire pour l'éditeur le temps que cette clause abusive soit révolue
Souvenez vous de ce qu'on a précisé plus haut :
Le cumul de plusieurs clauses dans différents contrats parallèles (et non successifs) est possible, sous réserve que l’auteur ne soit pas lié pour plus de cinq ans.
Si votre éditeur manipule vos contrats suivants en ajoutant des clauses à la clause, histoire de mieux vous enchaîner à lui, prévenez-le que vous cesserez de lui proposer des textes jusqu'à expiration légale du délai de cinq années ! Cela ne vous empêchera pas d'écrire, d'autant qu'une fois libéré des cinq années imposées - comptez celles déjà cumulées chez lui - vous aurez légalement le droit de proposer vos textes à qui vous voulez ! Vous n'avez donc rien à perdre contrairement à lui.
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C - Alliez-vous à d'autres auteurs
Encore et toujours, l'union fait la force ! Ne tombez pas dans le piège de la division qui permet à ce genre de ME de mieux régner sur ses esclaves auteur-e-s. Cette structure doit certainement infliger les mêmes dégâts contractuels aux autres auteurs de votre maison. Alors prenez contact avec eux et faites bloc. Si l'éditeur ne reçoit plus de manuscrit à publier, autant vous dire qu'ils peuvent mettre la clef sous la porte.
N'oubliez jamais que ce sont les auteurs qui font tourner les ME, et quand une ME se la joue petit monarque du dimanche, cela se sait et sa réputation s'en retrouve entachée aussi bien auprès des lecteurs que des auteurs. Les communautés de lecteurs sont petites, les lecteurs parlent entre eux, aux auteurs, les informations circulent à toute vitesse. Il suffit d'un rien, d'une étincelle, pour mettre le feu aux poudres et dites vous qu'avec ce type de contrat, vous êtes assis sur une bombe à retardement monumentale. A vous de vous en servir à bon escient pour faire valoir vos droits... Car la ME n'est pas toute puissante. Elle a aussi des comptes à vous rendre. Le travail auteur/éditeur est un travail de collaboration et si l'éditeur a en lui la passion du livre, il travaillera dans un intérêt commun et vous aidera à avancer et non à stagner.
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D - Contactez un avocat
Si votre éditeur ne daigne pas vous répondre, prenez un avocat et envoyez-lui le contrat tout en lui expliquant votre requête et vos attentes. C'est impératif de faire vérifier un contrat avant de le signer mais sachez qu'un contrat signé ne s'annule pas d'un claquement de doigts. Un contrat est un contrat, vous devez le lire avant de le signer, et même un bout de papier volant qui stipule que vous donnez vos droits à une personne morale ou physique est valable et valide devant les tribunaux. Une clause, même abusive, ne se résilie pas si aucune loi ne prévoit de l'annuler. La seule option qui se présentera à vous si vous avez signé un contrat présentant une clause abusive, sera la négociation. Donc même si vous détestez votre éditeur, soyez toujours respectueux, vous obtiendrez peut-être une rupture à l'amiable.
Pour terminer, gardez en tête ceci :
Le code de la propriété intellectuelle stipule que la clause de préférence ne peut s'appliquer qu'à un maximum de 5 textes du même genre ou pour 5 années.
Voila, vous êtes concernés par cette clause abusive ? Je viens de vous donner les clefs de votre liberté. N'hésitez pas à partager vos expériences si vous en avez, surtout si vous pouvez donner des conseils pertinents. Partagez cet article, parlez-en autour de vous, sur les réseaux d'auteurs qui sont nombreux à avoir été victimes de cette clause, parfois sans en avoir conscience.
Attention cependant : Ne dénigrez jamais en publique votre ME, elle pourrait se retourner contre vous pour diffamation. Si vous avez des amis qui en sont victimes, prévenez-les en privé. Le bouche à oreille est efficace !
Bon courage à vous !
Mon cas est totalement différents. Personnellement j'ai refusé de signer le contrat présenté (et j'en signerais jamais de ce style) justement parce que j'avais senti l'emprisonnement. Malgré tout mon livre a été édité sans contrat mais après avoir vendu les 100 premiers exemplaires, j'ai reçu des ordres pour faire transiter plus vite les versements de la vente des livres (j'ai vendu plus de 80% des livres) que je recevais (bien entendu j'ai transféré la totalité).La ME elle se gardait le droit de me régler qu'une fois par an toujours sans contrat signé, tel un bon seigneur et maitre. Le divorce était évident et la séparation a été rapide. J'ai racheté le stock à la ME me faisant fort de les vendre. Quelques jours plus tard j'ai reçu un mail d'une librairie m'informant qu'il n'avait plus le drit de vendre mon livre suite à un mail de l'éditeur féodal. Est ce légal ?
Merci d'avance pour votre retour
Dans le doute, mieux vaut vous rapprocher d'un avocat, si possible spécialisé en droit d'auteur. A la lecture de la clause il pourra vous répondre sans hésitation.