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Interview de Cy Jung pour "Piste Rose"

| Chantal_Trembley | Interviews de nos autrices et auteurs

Interview de Cy Jung pour "Piste Rose"

 

Piste rose, c’est le nom du bar homosexuel de la station de ski. Pourquoi avoir décidé que cela serait également le titre de votre roman ?

En 2003, j’ai rejoint les éditions Gaies et lesbiennes qui venaient d’inaugurer une collection Le Bonheur est à tout le monde pour éditer des romans sentimentaux LGBT. J’ai trouvé l’exercice amusant ; j’ai lu quelques romans de la fameuse collection sentimentale Harlequin, ai décodé leurs règles d’écriture, noté le vocabulaire et me suis lancée dans l’aventure du « roman rose lesbien » avec l’idée d’y glisser une critique sociale lesbienne sous couvert d’une intrigue sentimentale non dénuée d’un fort contenu érotique. C’est ainsi que j’ai inauguré ma série des « roses », avec Carton rose, mon cinquième ouvrage, puis Bulletin rose, Diadème rose, Camélia rose et aujourd’hui, publié chez Homoromance éditions, Piste rose.

C’est donc le bar qui a pris le titre du roman et non l’inverse ; je trouve que cela lui va bien.

 

Une station de ski, ce n’est pas un lieu où l’on voit couramment situer l’intrigue d’un roman. Qu’est-ce qui vous en a donné l’idée ? Le ski est-il une activité que vous appréciez ?

J’ai skié petite avec mes parents. Je connais donc un peu l’ambiance d’une station de ski. Je trouvais intéressant de déplacer mon action dans un lieu qui, s’il n’est pas clos, est suffisamment réduit pour que les personnages puissent s’y croiser, ou non. L’idée aussi était d’avoir des personnages en vacances, toutes dévouées à leur bon plaisir, dans un contexte où elles pouvaient passer outre leur ordinaire et révéler leurs désirs. Une station de ski est également un endroit où l’on a froid, où le son est étouffé par la neige et le brouillard, où les journées sont courtes en hiver, autant de bonnes raisons de se réfugier dans des endroits chaleureux ou dans des bras audacieux. 

Votre roman présente différents personnages et différents couples, qui ont chacun leur propre dynamique. Il y a Dene et Élisabeth, qui espèrent que ces vacances ranimeront leur désir, Agnès et Béatrice, couple homoparental un peu trouble, et Bobie, qui se remet à peine d’une rupture douloureuse. Décrire les interactions d’êtres si différents a-t-il été complexe par moment ? Y’a-t-il une des situations que vivent vos personnages, ou un de vos personnages eux-mêmes, auquel vous vous êtes davantage identifiée ?

Je m’identifie rarement à mes personnages, au contraire même au sens où écrire introduit justement une distance entre soi et l’intrigue. Ce n’est donc pas moi que je mets en scène mais bien des « autres » dont je construis la vie et la personnalité de manière très précise. Si tous mes personnages se ressemblent, ils auront du mal à s’affronter et à s’aimer. Il est important de créer de l’altérité pour que le désir naisse, comme dans la vie, en somme.

J’essaie en outre de coller à ce que je perçois de nos amours et vies lesbiennes. Nous sommes toutes différentes et, en même temps, nous n’échappons pas à certains stéréotypes. Un des outils de l’écriture, c’est de relever ces stéréotypes et de créer des personnages qui vont à la fois les exacerber et les dénoncer. Quand je crée une palette de personnages, je m’appuie sur ce qui nous construit socialement, nom, âge, profession, milieu, centre d’intérêt, goûts alimentaires, style physique, situation amoureuse, etc., pour que la palette soit à la fois variée et crédible. Ce travail se matérialise sous forme d’un tableau qui va me servir de référence tout au long du roman.

Ensuite, je construis, toujours ex nihilo, une trame où ces personnages vont se croiser pour nourrir l’intrigue, alimenter le suspens, arriver sur une issue inattendue mais probable. Le plus difficile pour Piste rose a été de gérer le personnage de la banquière tant j’ai été la première à la trouver désagréable. Il fallait pourtant qu’elle agisse puisqu’elle est le nœud de l’intrigue. Ses manigances ont été complexes à créer. C’est tellement à l’antithèse de ce que je défends. Mais la vie à son lot de méchants ; mes romans aussi.

 

Deux de vos personnages, Bobie et Agnès, ont une passion pour les voitures. Bobie est en effet monitrice dans une auto-école, et Agnès a un gros 4X4 noir Mercedes qu’elle affectionne particulièrement. Partagez-vous cette passion avec vos personnages ? Si oui, quel genre de voiture à votre prédilection ?

Je vous parlais tout à l’heure de distanciation par l’écriture… Je suis malvoyante (je suis albinos) et ma basse vision m’interdit de conduire tout véhicule, même une patinette ou un vélo. Je ne me suis donc jamais assise derrière un volant, n’ai jamais actionné un démarreur, ni passé une vitesse de ma vie. J’ai en outre une grande peur de la vitesse et des accidents de voie publique ; je ne monte en voiture qu’en cas de nécessité, jamais par plaisir. Je suis enfin favorable à la suppression des automobiles du centre de Paris et à la limitation de leur circulation en ville.

Vous ne me posez pas la question, mais je pourrais vous dire la même chose de certaines pratiques sexuelles de mes personnages ou de leur consommation alimentaire. Je ne voudrais pas décevoir mes lectrices mais je dois avouer qu’à titre personnel je ne fais pas grand-chose de ce que mes personnages font de palpitant et mes passions ne sont pas les leurs.

Pourquoi alors, avoir mis la voiture au centre de ce texte ? Agnès est une femme de pouvoir que l’on peut qualifier de viril ; les gros 4X4 sont un attribut de pouvoir viril qui lui allait bien. Bobie, elle, a un rapport plus tendre à l’automobile ; c’est un personnage très affectueux ; elle caresse les volants et agit par amour. Elle est monitrice d’auto-école car j’avais besoin qu’elle puisse rivaliser avec Agnès en opposant la tendresse à la force. Par ailleurs, les personnages de romans sentimentaux ont souvent des professions socialement valorisées. Monitrice d’auto-école est un métier exigeant mais accessible à toutes… sauf à moi, bien sûr !

 

La problématique environnementale est un sujet qui revient à quelques reprises dans votre roman. La protection de l’environnement est-elle un sujet qui vous tient à cœur ? Vous considérez-vous comme une personne écologique ?

Oui, je suis une activiste écologiste, et féministe aussi. Les deux vont bien ensemble. J’aime beaucoup ma Ville, Paris, et notre maire, Anne Hidalgo se bat au quotidien pour réduire l’empreinte écologique de nos activités citadines. Je suis un de ses fidèles soutiens car en plus, elle est très sexy ! Je l’adore.

Je pense aussi que l’on ne pourra pas vivre éternellement en pillant les richesses naturelles et en polluant sans que la Terre n’explose. Il va falloir faire des choix pour que chaque personne, au Sud et au Nord, puisse vivre dignement, dans un monde apaisé avec le bonheur en point de mire. Nous allons devoir faire œuvre de partage et de sobriété. Je ne suis pas toujours optimiste mais j’ai envie de croire que cela est possible.

 

Votre œuvre décrit avec réalisme et humour la sexualité. Considérez-vous que l’écriture de certaines scènes plus explicites présente des difficultés particulières ? Selon vous, y a-t-il certains clichés qu’il faut éviter lorsqu’on parle de sexualité ?

Les questions du pouvoir, de la domination, dans la sexualité sont des questions très difficiles. Nos sexualités lesbiennes sont souvent imprégnées, à notre corps défendant, de culture machiste car nous vivons dans une société machiste. C’est important de nous départir de ce que cette culture conditionne de nos désirs et de nos pratiques. C’est le sens de mon travail d’écriture depuis près de vingt ans maintenant, donner au désir lesbien des images, des mots, des références qui ne sont pas celles de la domination masculine.

On me reproche parfois la crudité de certaines scènes, voire la description très précise de pratiques peu ordinaires, au moins officiellement. Je ne crois pas que ce soit la crudité en elle-même qui peut poser problème mais la manière dont on en parle. J’essaie toujours de faire en sorte que mes personnages soient des actrices de leur sexualité ou que la violence qui peut s’exprimer (comme dans Piste rose) soit clairement dénoncée. Je peux me tromper, bien sûr, ou mal écrire. C’est à chacune d’en juger.

La langue française, enfin, très hétérosexiste, n’est pas ma meilleure alliée. J’ai pu théoriser cela lors d’une conférence à l’Institut français de Cluj (Roumanie) en 2002. J’envoie volontiers le texte de celle-ci à qui me la demande. J’essaie, de manière générale, d’être ouverte au dialogue avec mes lectrices. Elles peuvent me contacter via mon site ou ma page Facebook même pour gourmander mes choix d’écriture. Je leur répondrai toujours.

http://www.cyjung.com/

https://www.facebook.com/cyjung.ecrivaine/

 

Agnès, banquière, est un personnage quelque peu troublant, son caractère dominateur et son esprit calculateur donnent parfois froid dans le dos. D’où vous est venue l’inspiration de ce personnage ? A-t-il été difficile, au moment de l’écriture, de se mettre à sa place ?

Oui, ne pas chasser Agnès du roman d’un grand coup de plume dans l’c… a été difficile ! On a tellement envie de lui dire d’aller voir ailleurs !

Je crois qu’il existe des personnes comme elle parmi les lesbiennes et je pense qu’il est important de dire aussi que la violence existe au sein du couple lesbien. Je crois également important de dire que l’homoparentalité a ses travers. Cela ne la discrédite pas. Cela dit simplement que l’homosexualité ne fabrique pas que des êtres meilleurs et des situations idéales. Nous avons nos bourreaux, nos martyrs, et nous sommes toutes lesbiennes ; n’est-ce pas cela le plus dur, se dire qu’Agnès est aussi lesbienne ? On voudrait tellement qu’elle ne fasse pas partie de notre communauté !

 

La violence conjugale, c’est l’un des thèmes douloureux qu’aborde Piste rose. Quelles sont, selon vous, les causes de ce phénomène encore trop souvent tabou ? Que croyez-vous que nous puissions faire pour en changer ?

La question à se poser me semblerait plutôt : mais pourquoi la violence n’existerait-elle pas dans le couple lesbien ? Qui serions-nous pour être meilleures que les autres ?

En tant que minorité réclamant des droits, on a envie, bien sûr, de faire valoir notre exemplarité, dire que nous en sommes dignes et que nous élèverons aussi bien, voire mieux nos enfants, que les hétérosexuels. Cela amène parfois à des dérives, comme le rejet d’homosexuels trop « typés », si vous me permettez l’expression, dans notre marche parisienne des Fiertés. Mais les gays paraplégiques ou les lesbiennes noires ou les trans pauvres ont le droit aussi de ne pas être discriminés et sont tout à fait capables d’élever des enfants, d’être heureux… ou malheureux !

Ceci pour dire que la violence se produit, se reproduit, dans tout espace social où les personnes sont malheureuses, quels que soient leur orientation sexuelle, leur niveau de vie ou leur couleur de peau. Pour lutter contre les violences, notamment familiales, il faut s’intéresser au bonheur des personnes, les aider quand elles en ont besoin, leur permettre d’aimer d’un amour qui ne détruit pas l’autre mais d’un amour qui le libère.

 

Dene s’oppose farouchement au racisme et à toutes formes de discrimination, Bobie a de fermes convictions écologistes, et Pascal, le kinésithérapeute est un militant de l’homosexualité politique. Où vous situez-vous personnellement dans tout ça ? Considérez-vous avoir une âme révolutionnaire ? Croyez-vous qu’on puisse changer le monde et ses préjugés ?

Bien sûr que l’on peut changer le monde, on a déjà commencé ! Et je ne saurais vivre sans cet espoir.

Je ne suis pas révolutionnaire ; je pense que changer le monde, c’est d’abord changer la manière dont on le pense et essayer d’agir là où l’on est, que ce soit dans notre vie quotidienne ou dans nos engagements. J’invite chacune à regarder la journée qui vient de s’écouler et se dire : qu’est-ce que j’aurais pu faire de simple et que je n’ai pas fait qui aurait été plus en conformité avec mon monde idéal ?

Et si l’occasion se représente, ne la manquez pas.

 

Qu’aimeriez-vous que vos lecteurs retiennent de Piste rose ?

Que la violence ne tue jamais l’espoir.

Et que l’amour est toujours au bord de la piste ; ne roulez pas trop vite, vous pourriez le rater !

par Anaïs Paquin





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