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La quête du bêta-lecteur idéal (ou chacun cherche-t-il son chat ?)

| Chantal Trembley | Les conseils d'écriture

La quête du bêta-lecteur idéal (ou chacun cherche-t-il son chat ?)

Ou chacun cherche-t-il son chat[1] ?

 


Sommaire


1. Introduction

Non, loin de moi l’idée d’aborder la relation chat-auteur ni même la question sensible du cat-writer ! Les sujets impliquant auteurs et félins sont beaucoup trop complexes pour moi !

Je voulais vous parler de l’importance des bêta-lecteurs et du chemin de l’auteur avant de trouver la perle rare !

Lorsque HR m’a envoyé mon contrat et m’a appris que deux bêtas corrigeraient mon humble petit opus, j’ai été rassurée. Mais auparavant, j’ai pris le temps de le faire lire à mes soeurs, totalement étrangères à la lecture LGBT mais terriblement efficaces sur les fautes d’orthographes et de syntaxes. Leurs remarques n’ont pas suffit à combler mon inquiétude croissante, car lorsque je leur ai demandé ce qu’elles pensaient de l’histoire, de l’enchaînement des actions et de la logique, je ne les ai pas trouvées assez critiques. Je leur ai demandé de corriger les fautes, mais sans leur avouer, j’attendais plus. Je ne savais pas vraiment quoi… Après tout, le comité de lecture de HR avait retenu mon petit conte, alors que voulais-je de plus ?

J’ai écrit ce que j’aime lire et en essayant de rester fidèle au genre, de garder l’esprit du conte traditionnel et ses codes, son vocabulaire simple, ses actions rapides. Néanmoins, j’étais totalement terrifiée de ne pas savoir comment des inconnus recevraient l’ouvrage. Une autre bêta que j’ai contactée sur internet s’est portée volontaire et a fait un excellent travail, remettant en question des aberrations, des mots mal employés. Puis, en m’avouant qu’elle n’aimait pas ce genre de récit, elle m’a déstabilisée. Après les deux dernières relectures finales, ma dernière bêta (que ne saurait que trop remercier) me fait découvrir avec horreur que mon personnage principal a changé de prénom au chapitre 2. Personne ne l’avait vu, moi y compris !

Tout au long de cette expérience, j’ai compris comment je voulais m’organiser pour mon prochain projet. Et j’ai aussi perçu le calvaire de la recherche du parfait bêta lecteur, le remora du requin, le poisson-clown de l’anémone de mer… Ok, ça devient bizarre, je m’arrête là !

Du haut de mon immense expérience d’un unique livre “presque-publié” derrière moi, il était difficile de me sentir légitime pour vous dire comment on peut s’en sortir, alors j’ai demandé à deux auteures ayant fait leurs preuves sur la scène internationale, Lee Winter et Alexandra Mac Kargan, de m’éclairer sur leur pratique.

2. Qu’attendez-vous d’un bêta lecteur ?

Lee Winter : qu’il soit honnête. Il est très facile de trouver des gens pour lire votre travail, qui vous diront que vos paroles sont une cascade multicolore de perfection et de merveille. Je n'appellerais pas ces personnes des bêta lecteurs, mais plutôt des fans bien intentionnés. Ce dont j'ai le plus besoin, c'est d'une personne qui m’indiquera honnêtement l'endroit où l'histoire a cessé de l’intéresser ou qui m’expliquera la raison pour laquelle le personnage que vous pensiez être un charmant voyou est perçu comme une véritable ordure. Cependant, les auteurs sont également comme de fragiles, précieux pétales, très stressés ! On aura donc besoin de quelqu'un qui sache équilibrer honnêteté et réconfort : non, tout le chapitre/livre n'est pas la pire chose que j’ai lue, oui j'ai ri en lisant cette partie. Nous avons donc besoin de sucre, d'épices et d’une bonne dose d'honnêteté, sans que tout cela ne vienne briser notre pauvre cœur créatif. Nous avons besoin d'enthousiasme, quoi qu'il arrive.

Alexandra McKargan : dès mon premier manuscrit, Revenge, j’ai pris l’habitude d’avoir une bêta qui lisait et me donnait son avis au fur et à mesure de l’écriture. Le doute est ma seconde nature, j’ai donc besoin d’avoir un avis avant de continuer pour savoir si ça tient la route d’une part et le ressenti de la bêta lectrice d'autre part. C’est pourquoi la lecture se passe en visio avec Skype, j’ai les réactions à chaud et c’est ce que je cherche. Le plus important, c’est avant tout d’avoir un regard sur l'histoire : cohérence, intérêt, ressenti des émotions. Après si elle peut relever certaines fautes c'est toujours ça de gagné. Mais cela ne doit pas prendre le pas sur ce que j'attends réellement.

3. Comment les choisissez-vous ?

Lee Winter : chaque auteur est différent, la plupart de mes lecteurs bêta sont en général des lecteurs qui m'ont contactée pour m’offrir leur service parce qu'ils aimaient mon écriture. Je vois souvent des messages d'auteurs cherchant de nouveaux lecteurs bêta sur Facebook, c'est donc un moyen d’en trouver. S’il y a quelque chose que je ne recommanderais jamais, c'est de demander à un ami ou à un proche d’être votre bêta si vous ne pensez pas que votre relation tiendra bon quoi qu'il arrive ! J'ai vu des relations se terminer à cause d’une relecture.

Alexandra McKargan : ma bêta actuelle était d’abord une fan et m’a contactée par email. Être bêta, c’est vraiment un sacerdoce. Au lieu d’avoir un livre fini à tous les sens du terme, elle a un premier jet avec toutes ses imperfections. Et quand elle pourra lire le manuscrit dans son intégralité et dans sa version définitive, elle n’aura plus la notion de découverte.Il est vraiment difficile de trouver la bonne bêta pour le bon auteur. Il faut à la fois quelqu’un qui aime ce que vous faites mais qui sait aussi rester critique. Et il doit y avoir une confiance mutuelle sans faille qui s’acquiert sur la durée pour ma part.

4. Avez-vous plus d’un bêta lecteur et est-ce qu’ils ont chacun leur spécialité ?

Lee Winter : j'aime avoir un lecteur bêta régulier qui m'accompagne tout au long de mes livres, qui connaît donc mon style d'écriture et avec lequel j’ai une bonne relation de travail. Idéalement, c'est quelqu'un qui aime ce que j'écris, en qui je peux avoir confiance lorsqu’il me dit que quelque chose est mauvais, je sais que ce n'est pas parce qu'il n'aime tout simplement pas le sujet du livre. J'essaie aussi de trouver un spécialiste pour chaque livre. Donc, quand j'ai fait Breaking Character, un livre sur les actrices, j'ai cherché dans mon réseau jusqu'à ce que je trouve une actrice hollywoodienne prête à faire une relecture pour en approuver l'authenticité. Elle m'a fait d'excellentes remarques sur les passages où j’étais à côté de la plaque ou des suggestions pour améliorer une scène. Elle m'a également donné un aperçu de ce que ressent une actrice, ce qui était crucial, car une grande partie de l'intrigue repose sur l’angoisse et la vulnérabilité d’une actrice à la perspective du tournage d’une scène de sexe. Pour Changing the Script, qui parlait d'un réalisateur, j'ai trouvé un cinéaste dont les observations étaient phénoménales. Elle a parlé de ce qu'un réalisateur repèrerait sur un plateau de tournage qu'une personne ordinaire ne verrait même pas. Pour The Brutal Truth, j'avais ce merveilleux duo mère-fille de créateurs de mode français, j'ai donc trouvé un canadien français pour m'assurer que tout le français cité était bien supérieur à tout ce que Google Translate pouvait offrir. Parce que je suis un peu masochiste (LOL), j'utilise également ma petite amie comme lecteur bêta et elle fait ce que j'appelle des modifications acides/guimauves. Elle est drôle et incisive mais souvent brutalement honnête. Cela peut être dévastateur pour l'ego, mais elle a le chic pour trouver des failles et les passages insipides dans l’intrigue. Je ne la réquisitionne pas pour tous les livres, car elle n'aime pas tous les sujets que j’aborde - A propos d’un livre sur un assassin, Requiem for Immortals, elle a déclaré qu’il était trop sombre, trop porté sur le sexe et absolument pas pour elle, et nous nous sommes arrêtées au premier chapitre. C'était une bonne décision !Enfin, j'ai toujours un lecteur bêta de finition - quelqu'un qui n'est pas vraiment là pour des problèmes de structure, mais juste pour donner sa vision globale du livre. Une vue d'ensemble, si vous voulez. Ces lecteurs bêta peuvent être très utiles pour repérer quelque chose que les autres ont raté parce qu'ils ne vont pas autant dans les détails. Je pense que la plupart des gens entrent dans cette catégorie - ils perçoivent la big picture, ils saisissent l'ambiance générale de l'histoire. C'est pourquoi si vous trouvez un bêta lecteur qui est structurellement bon, dans l’analyse de tous les éléments, il vaut son pesant d'or. Ma plus ancienne bêta lectrice a un talent assez rare : elle n’a pas son pareil pour me dire si mes scènes de sexe fonctionnent. La chimie est très difficile à mettre en place dans ces choses-là, et quand vous vous acharnez à en écrire une, il est difficile de savoir si vous évoquerez une réaction ou si vous ennuierez les lecteurs avec des plans de montage IKEA. Comme je l'ai dit, les bêtas sont de toutes les formes et de toutes les tailles, et ont de nombreux talents différents !

Alexandra Mac Kargan : pour l'instant, je n'en ai qu'une avec qui je travaille depuis un certain temps et je suis sa bêta aussi. On a la même vision de l'écriture et de ce qu'on attend d'un roman. Ça tombe bien. Nous sommes complémentaires sur de nombreux points. Elle a par exemple un talent particulier pour dénicher les répétitions. Nous sommes tellement sur la même longueur que nous avons signé récemment Bianca et Rusëa, en quatre mains. Je me pose la question en ce moment d’en chercher une deuxième pour mon projet en cours. Le point de départ du roman comporte une particularité et il me faudrait un regard extérieur pour vérifier que cela fonctionne correctement. Si je le fais, ce devra être quelqu'un qui me suit, que je connais et qui est disponible pour un rendu rapide. Sur Arkham, au début, j'avais plusieurs bêta qui lisaient au fur et à mesure des chapitres. Je me suis rendu compte alors qu’avoir plusieurs bêta, c’était trop chronophage pour moi. Ensuite, certaines avaient leur idée de ce que devait devenir l'histoire et cela ne correspondait pas à ce que j'avais en tête. Quand je commence une histoire, j'ai la trame et je sais exactement où je vais. Donc c’était plutôt contre-productif pour moi.

5. Avez-vous avec votre bêta, une technique spéciale ?

Lee Winter : non, je passe simplement en revue chaque remarque méthodiquement, en faisant des allers-retours entre Word (que mes bêtas utilisent pour m’envoyer leurs corrections) et Scrivener[2] (que j’utilise moi).

Alexandra Mac Kargan : je lui envoie les "paquets" au fur et à mesure que j'écris. Premier jet brut sans relecture. On travaille via Skype, j'ai le retour en direct. C’est une technique particulière qui demande une grande disponibilité de chaque côté. L’avantage c’est que les remarques sur l’histoire sont intégrées directement dans l’écriture de la suite et cela évite des risques d’incohérence.

6. Est-ce que vous vous préparez à l’impact psychologique des commentaires et si oui, comment ?

Lee Winter : je me prépare avant de lire les commentaires de ma petite amie et je m'assure que je suis toujours dans de bonnes conditions mentales pour y faire face. Je sais que cela la montre sous un jour affreux, mais il y a une chose sur laquelle nous sommes toutes les deux d'accord : l'histoire doit passer en premier. Cela éclipse l'ego ou la préciosité. Mais je dois m'assurer que je suis prête à recevoir tout ce qu'elle va me balancer, car si je ne suis pas préparée mentalement, je risque de me retrouver en situation d'échec, le blocage de la page blanche, pendant des jours. C'est pourquoi le fait d'avoir des bêtas lecteurs enthousiastes en même temps est un réel cadeau. Ils peuvent être la cuillère de sucre dont vous avez besoin pour continuer.

Alexandra Mac Kargan : non, pas de préparation particulière parce que j’ai confiance en son intégrité et en sa bienveillance. Après, j’ai une relation spéciale avec mon écriture : je doute beaucoup mais en même temps je sais où je veux aller. Il faut vraiment de bons arguments pour me convaincre. Mon premier réflexe est souvent de défendre mon texte tel que je l'ai écrit. Ensuite, je cogite parce qu’elle peut mettre le doigt sur quelque chose que je n'ai pas vu. Il arrive aussi que je sente que quelque chose ne va pas sans savoir quoi. Qu’elle explicite le problème est alors un vrai soulagement ! Et parfois, elle a raison à l'instant T mais moi aussi parce que je connais la suite…

7. Est-ce qu’un bêta lecteur vous a déjà sauvé de la page blanche en trouvant le point qui vous bloquait dans votre histoire ?

Lee Winter : mon éditeur, qui lit parfois mes livres en tant que bêta, est un génie absolu pour soigner mes blocages d'écrivain et/ou mes moments de perte de repères. Elle parvient à voir comme personne d'autre quand une scène ne fonctionne pas et parfois c'est la seule chose dont j’ai besoin pour m’orienter vers un chemin auquel je n'avais pas pensé. Dans Requiem for Immortals, mon livre sur les assassins, j'avais l'impression qu'il manquait quelque chose et je n'arrivais pas à savoir quoi. Et elle a dit : "il te manque le moment où Requiem[3] décide de ne pas tuer sa cible". Cela m'a frappée comme un éclair. Comment n'avais-je pas pu voir quelque chose d'aussi évident ? Mais on se laisse souvent aspirer par l'intrigue globale. Je m’y suis remise, j’ai écrit une scène où Requiem ne cessait de repousser le moment, en  faisant un nettoyage excessif de la maison (comme seul un assassin peut le faire !) avant d'admettre finalement qu'elle ne pouvait tout simplement pas tuer Alison Ryan et n'avait aucune intention de le faire. Mon éditrice est également très sournoise avec ses auteurs. Lorsque nous lui disons que nous sommes bloqués et que nous n'avons pas d'autre livre en nous pour l'instant, elle nous répond : "Ca marche, écrivez-moi plutôt une nouvelle". Et à chaque fois, on finit par se laisser emporter et nos nouvelles se transforment en romans. Entre Jae[4] et moi, je pense que nous avons écrit une demi-douzaine de "nouvelles" de la taille d’un roman. Nous sommes maintenant bien avisées, ça marche à chaque fois. Mais ça donne matière à réflexion : peut-être que le blocage des écrivains est en partie dû au fait que les auteurs se noient dans l'énormité de leurs projets. Si vous le réduisez dans votre esprit à quelque chose de petit et facile à aborder, le blocage de l'écrivain disparaît. Du moins, c'est la théorie !

Alexandra Mac Kargan : en fait, je ne connais pas vraiment la page blanche. Dès que je me pose devant mon manuscrit, les mots coulent assez facilement. Mon point de blocage se situe plutôt dans le fait de me mettre devant le PC pour écrire. Obligations, manque de temps, mauvais état d’esprit, un nombre incalculable de choses peuvent se mettre en travers de mon clavier en fait ! Et là, ma bêta n’hésite pas à me rappeler à l’ordre ! Voilà, deux auteurs, deux façons de voir les choses et de travailler avec un bêta. Bonne chance à tous dans la quête du ou des bêta-lecteurs qui saura/sauront vous accompagner sur le chemin de l’écriture !

Par Olin Torvingen

 

Page d'Alexandra Mac Kargan

Et Lee Winter à cette adresse : http://www.leewinterauthor.com/                                      

[1] Film de Cédric Klapisch de 1996.

[2] Scrivener est un logiciel qui permet la prise de notes, l'agrégation de documents de recherche, la rédaction d’un manuscrit et l’édition en format epub.

[3] L’assassin, personnage principal du livre

[4] Jae, auteure de romans lesbiens anglophones et germaniques




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