Au temps qu'il passe - Magali Junjaud
Réédition du texte et de la couverture : mars 2023
Résumé : Patricia et Charlotte se détestent depuis des années sans que personne ne soit en mesure d'expliquer pourquoi. Aussi, quand leur défunte amie, Julie, tente de les réunir, elles, son mari, et leur ami Lucien, sur une île au large de la Bretagne, par son testament, les deux ennemies peinent à cacher leur désarroi. Tout le monde pose les valises, dès le weekend suivant, dans la petite maison du phare. Mais les deux filles ne sont pas au bout de leurs surprises. Après le départ des garçons au petit matin, elles se retrouvent seules pour la journée avec une tempête qui se lève sur l'océan, et se rapproche dangereusement.
EXTRAIT
Elle commence à chercher des yeux d’où peut provenir le cri, quand une vague vient la plaquer contre la roche et l’engloutit totalement. Elle ne lâche pas sa prise, boit une bonne tasse d’eau salée, s’accroche fermement et mobilise toutes ses forces pour remonter puis rampe le plus loin possible des vagues. Elle est allongée au milieu du petit chemin qui relie la plage disparue au phare, un peu plus haut, trempée et gelée, et se demande même si elle n’a pas eu une hallucination auditive. Mais Charlotte arrive près d’elle, un grand sourire aux lèvres et un éclair de panique dans les yeux. Patricia est soulagée, pour une très courte durée.
— Pat, ça va ? Tu n’as rien ? Sa voix trahit son affolement.
Patricia tousse, se redresse sur ses coudes, regarde son bras et soupire d’agacement.
— Si, Charlotte, j’ai mal au bras et je t’ai, toi ! Et je préfère avoir mal.
Patricia se redresse complètement, chancelle, assure ses appuis puis essore ce qui peut l’être de sa tenue, et commence à partir en se tenant le bras. Elle n’a plus de lampe torche et il fait très sombre, mais elle a mémorisé le chemin et elle sait qu’elle rentrera sans se perdre. Encore un autre héritage de sa vie de militaire. Ce qui n’est pas le cas de Charlotte, qui s’empresse de lui emboîter le pas. Patricia l’arrête d’un geste de la main.
— Non ! Reste où tu es ! Je ne veux pas te savoir derrière moi, ordonne-t-elle.
— Tu ne vas pas me laisser là ? demande Charlotte, incrédule.
— Si, regarde bien ! et Patricia commence à partir
— Mais je suis trempée aussi et je veux rentrer.
Patricia lui fait face subitement et l’attrape fermement par les épaules.
— Bordel ! Fallait y penser avant de nous mettre en danger, Charlotte !! Tu espérais faire quoi exactement ? J’ai failli me noyer ! dit-elle, avec un regard noir, sans retenir sa colère.
— Moi aussi, j’ai glissé avec mes talons, dit-elle en montrant ses élégantes bottes en cuir à talons… je voulais appeler des secours, confie-t-elle à voix basse, se rendant compte de l’absurdité de son idée.
— Et tu penses qu’ils seraient venus comment, exactement ? Merde ! Pat lâche son amie et reprend sa route
— Je suis désolée, soupire-t-elle, immobile.
— Je m’en fous ! Maintenant que je sais que tu es vivante, reste loin de moi, c’est tout ce que je te demande.
— Oh ! C’est facile pour toi GI-Jane, tu es dans ton élément, là ! Ça te rappelle ta jeunesse dans la septième compagnie ! Quand tu portais tes treillis et que tu jouais à la guéguerre à Tataouine ! s’emporte Charlotte.
Mais quand Patricia ramène son visage vers elle, des larmes perlent aux coins de ses yeux et sa ride du lion est devenue abyssale. Ses traits serrés et durs ne présagent rien de bon. Elle a mal. Charlotte reste pétrifiée.
— Non, rien de tout cela n’est facile pour moi, Charlotte ! J’ai la trouille, et je la déteste, cette île ! JE LA DÉTESTE ! Et je déteste Julie, parce qu’elle n’est pas là ! Et je déteste les garçons de nous avoir laissées ici ! Et je te déteste toi surtout, depuis des années, Charlotte, depuis cette putain de nuit, je te déteste, je te déteste parce que je… mais, à bout de souffle, Patricia est obligée de se taire, étouffée par la colère.
Patricia capitule, se retourne et continue à avancer comme elle peut, avec tout ce qui vole autour d’elles. Elle est folle de rage, trempée, et tétanisée par le froid. Elle ne voit rien sans lampe, et elle doit sans cesse se protéger du vent, de la pluie et de tout ce qui lui fouette le visage. Elle a craint de se noyer, mais surtout, elle a craint pour Charlotte, et c’est une
sensation plus difficile à accepter.
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Tout part de cela, un moment de communion entre proches ayant perdu quelqu'un, mais réunir deux femmes qui s'aiment autant qu'elles se détestent en pleine tempête, cela fait des ravages !
J'étais partie septique, le résumé me tentant moyen par son côté "je te hais mais je t'aime" mais finalement je me suis largement laissée emportée par la plume de l'auteure et le rythme de l'histoire :-)