Alors que je me retrouve à fermer la marche en compagnie de Roark, je contemple mon peuple adoptif d’un regard nouveau, éclairé par ma compréhension grandissante des lois qui régissent ce monde. Je vois Paloma et Keeyan, qui marchent en silence l’une près de l’autre, trouvant un certain réconfort à l’idée que l’autre ressente une douleur similaire, celle d’avoir perdu l’être aimé. Je vois Nathan, étonnamment entiché de ce bambin orphelin, venir en aide à Keeyan alors qu’elle trébuche par inattention sur une des traverses du chemin de fer qui guide actuellement nos pas. Je vois Maowa, d’une douceur et d’une force de caractère que j’admire beaucoup, qui s’éloigne de sa compagne le temps de cueillir quelques fleurs, que je devine médicinales, en ignorant le squelette décharné qui a trouvé le repos éternel à cet endroit, il y a une cinquantaine d’années au moins. En tête de file, je vois Orik, Aza et Kalia, experts en ces terres ; je devine leur déchirement à abandonner leur maison, même s’ils ne l’ont jamais laissé paraître un seul instant. Je vois Eyrie et Ora, les guerrières armées d’un arc à qui je dois sans doute la vie. Je vois Vélane qui enfile une veste usée en se frottant vigoureusement les bras, affectée comme moi par les quelques degrés en moins. Je vois Aria, sa fille, qui gambade avec les autres enfants, encore protégée de l’horreur qui nous accable par l’innocence pure qui est le propre de l’enfance.
Puis, je vois Roark à mes côtés. Et les battements de mon cœur accélèrent encore un peu. Cette guerrière à l’âme blessée, emplie d’une force et d’un courage qui n’ont d’égal que sa sensibilité… S’il fallait traverser toutes ces épreuves juste pour l’avoir trouvée, elle, alors cela en valait totalement la peine. Tout en suivant la cadence du groupe, je prends sa main dans la mienne et nous échangeons un regard complice. Je ne sais pas quel avenir nous attend une fois arrivées au village du nord, mais je suis impatiente d’y être, à ses côtés.